A toi gamin

Pardon de n’avoir pas su empêcher ce foutoir.

C’est à toi, gamin, que je veux demander pardon aujourd’hui.

Pardon d’avoir gardé le silence devant l’atrocité grandissante du monde.

Pardon de m’être habituée à l’horreur, à la violence, de ne plus y avoir vu que des chiffres.

Pardon d’avoir pensé d’abord à sauver mon petit confort et celui de mes proches quand je voyais mes frères de cœur se faire piétiner de l’autre côté du monde.

Pardon d’avoir encore fermé les yeux quand le pauvre, le crève la dalle, a commencé à se montrer au coin de ma rue.

Pardon de ne pas m’être sentie concernée quand la misère a commencé à ronger la plupart de mes voisins, dans l’indifférence générale.

Pardon d’avoir cru que, si je gardais les yeux fermés assez longtemps, les choses allaient s’arranger d’elles-mêmes.

Je ne voulais pas voir. C’était trop dur à accepter. Tu comprends ?

Je préférais fuir, me divertir et m’assommer de gnole pour ne pas trop penser. Et continuer d’avoir la sensation d’avancer, en fait, juste tenir bon jusqu’au prochain divertissement.

C’est pas glorieux, hein gamin ? Pourtant, j’ai été comme toi. J’y ai cru très fort à ce monde de paix et d’égalité. C’était plus facile à l’époque. A l’époque… ça y’est, je parle comme une vieille. Je suis fatiguée à l’intérieur.

J’essaie de me mettre à ta place. Comment je vivrais le monde si j’avais ton âge aujourd’hui ?

Ce monde là, comment on le vit quand on est gamin, bordel ?

On ne peut faire confiance à aucun adulte ; chacun croit détenir LA vérité et y va d’arguments en arguments dont on se fout totalement à notre âge.

On a peur parce qu’on voit les grands qui ont peur.

On décide d’écouter notre père. Il dit qu’il sait, lui, qu’il faut obéir pour revenir au monde d’avant. On ne peut plus embrasser nos proches ; paraît qu’on est un danger potentiel. On n’a pas le droit de respirer librement. Dans la cour de récré, on se vante d’avoir survécu à plus d’effets secondaires que le copain. C’est pas tout le monde qui se remet d’un problème cardiaque à 13 ans. C’est quand-même la classe ! D’ailleurs, avec notre troisième dose, on a même reçu un bon de réduc pour un fast food ! Et puis on a récupéré celui de notre meilleur pote, parce que, lui, il n’est plus là pour l’utiliser. Mais c’est pas le premier alors maintenant on est habitué. Ca a même un nom : La Résignation En Marche, qu’ils appellent ça.

Ou alors, on décide d’écouter notre mère. Elle dit qu’elle sait, elle. Elle dit qu’il faut rester libres pour créer le monde d’après. Elle dit qu’on doit continuer à réfléchir par nous mêmes , même si c’est interdit. On fait l’école à la maison parce qu’elle veut qu’on puisse respirer librement. On est tombé malade. On a eu très peur mais finalement notre corps s’est remis tout seul et ça va mieux. On a décidé de ne pas jouer à Jacques-a-dit « soumettez-vous » alors des fois, c’est compliqué ; des personnes nous pointent du doigt dans la rue. On n’aime pas ça ! Mais heureusement, on a rencontré plein de gens qui ne jouent pas non plus et on rigole bien tous ensemble. Ca fait du bien de rire, on avait oublié. Bordel, comme tu dois te sentir écartelé, gamin !

Qu’est-ce qu’on est cons, nous, les grands !

Je te demande pardon gamin car, à ton âge, j’aurais su quoi faire. S’ils avaient servi de la merde à la cantine, on n’aurait pas juste fais des banderoles pour dire qu’on ne veut pas bouffer de la merde. On se serait organisés. On aurait bloqué l’entrée de la cantine. On aurait invité au boycott avec intelligence en proposant de délicieux sandwichs dans la cour. On aurait dit à nos parents d’arrêter de payer la cantoche tant que le menu ne serait pas changé et, en une semaine, on aurait obtenu gain de cause ! Je me souviens de cette ferveur, cette envie de justice qui pouvait me faire déplacer des montagnes.

Bordel, je crois qu’on m’a volé mon courage et mes espoirs gamin, on m’a shooté à la lâcheté. Tous les soirs, mon lit est inondé de désespoir de savoir que demain je ne ferai rien de plus pour changer le monde, si ce n’est me plaindre. C’est le crédo national. Tu comprends ?

A l’école, on m’a rabâché qu’un jour, il y a très longtemps, les gens sont sortis dans la rue pour dire qu’ils n’étaient pas contents et ont changé la société comme ça. Je ne sais pas trop si c’est vrai ou, en tout cas, ça fait longtemps que ça ne marche plus comme ça. Maintenant quand on fait ça, le weekend, on se fait massacrer par des gens armés, payés pour nous mater et, le lendemain, le monde est juste un peu plus étroit que la veille. Et puis on retourne bosser le lundi en râlant.

Je t’ai abandonné gamin. Je le sais. Mais pourtant j’ose te le demander : veux-tu bien m’aider ? J’ai juste besoin que tu me rafraîchisses la mémoire, que tu m’inspires d’idées nouvelles.

L’avenir c’est toi et bordel je crois en toi et je pense que ça va être magnifique ! Mais pour le moment, nous les vieux, on a besoin que tu nous mettes un gros coup de pied au cul. C’est à nous de finir de démolir les vieux murs fissurés d’un monde croulant sous la violence afin que toi et tes copains puissiez jouer à construire le monde de demain, sur des bases saines. S’il te plaît, réveille-nous gamin ! Surtout, surtout, ne t’endors pas avec nous ! Ce n’est pas l’heure !

Je t’en supplie : sois moins con que nous, fous nous un gros coup de pied au cul ! Vas-y maintenant !

Je te promets de t’écouter. Je te promets de te suivre. Je te promets de ne plus te laisser tomber gamin.

À mes gamins, à nos gamins.

Durgâ

Partage ce texte autant que tu veux, copie-colle le , fais le vivre , rien ne nous appartient si ce n’est l’avenir.

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